La ville de Lalibela se situe sur les hauts plateaux de l’Éthiopie centrale. Elle se trouve aux pieds du mont Ašatan, à un étage intermédiaire entre le massif de l’abuna Yosēf (4200 m d’altitude) et la plaine du Takkazē (1800 m d’altitude) traversé par le cours d’eau du même nom qui va rejoindre le Nil bleu au Soudan.
Entre 2400m et 2550m d’altitude environ, les monuments monolithiques de Lalibela s’observent sur pratiquement 16 hectares au détour des routes montant à la ville comme des sculptures dans la montagne. Aujourd’hui, certaines des églises sont abritées sous des abris de toile blanche, supportés par des piliers métalliques, qui se détachent du paysage minéral alentour aux couleurs proches de la latérite. Onze monuments composent l’ensemble, auxquels il faut ajouter les tranchées gigantesques qui enserrent le site, ainsi que les passages et salles souterrains formant un véritable réseau autour des églises proprement dites. Sur les flancs des monuments, des petits hameaux abritent des moniales, des familles du clergé. Une grande partie de ces hameaux ont été récemment vidés de leurs habitants pour protéger le site, en ne conservant que les maisons à étage, montées en pierre et couvertes de toit de chaume, jugées les plus remarquables. La ville est désormais repoussée au-delà d’un périmètre de protection.
Les églises se répartissent en trois ensembles spatialement distincts. Le premier groupe, au nord, est formé des églises du Sauveur du Monde (Bēta Madḫanē’Alam), la plus grande et la plus majestueuse de toutes, de l’église de Marie (Bēta Māryām) entièrement peinte à l’intérieur et sise au centre d’une cour dont les parois nord et sud abritent deux autres sanctuaires (celui de la Croix – ou Bēta Masqal – et celui des Vierges – ou Bēta Danāgel) tandis que la paroi occidentale dissimule un dédale souterrain permettant d’observer la cour de Marie d’un côté et le toit des deux dernières églises du groupe, Dabra Sinā et Bēta Golgotā, de l’autre. Ces dernières, creusées dans un niveau inférieur, sont composées d’un enchevêtrement de plusieurs espaces : deux églises accolées et des chapelles dont l’accès est réservé aux seuls prêtres et diacres du site.
Le second groupe, au sud-est, est encore plus déroutant. On y accède en visitant Bēta Gabre’ēl-Rufā’ēl qui se présente comme une forteresse accessible par un pont jeté au-dessus du vide, le sol se trouvant à une dizaine de mètres plus bas. Par un réseau souterrain, en franchissant des portes, des escaliers, un monument circulaire au plafond noir de suie (le Bēta Leḥēm, lieu où l’on cuit le pain pour la célébration eucharistique), et un dernier boyau plongé dans le noir, on émerge dans une cour où se dressent des piliers érodés, isolés, vestiges d’une salle souterraine effondrée dont une petite partie forme désormais Bēta Marqorēwos. Après avoir franchi quelques salles rupestres aux fonctions indécises, un escalier à flanc de paroi, nous voilà dans la cour de Bēta Amānu’ēl, église qui se distingue par son architecture imitant celle des palais aksumites. En quittant la cour d’Emmanuel par une petite ouverture, on entre dans une vaste tranchée qui enceint la presque totalité de ce groupe de monuments. En circulant dans cet espace démesuré, on atteint l’entrée de Bēta Libānos dont le toit est solidaire avec le rocher, évoquant ainsi les monuments de Petra.
Isolée de ces deux groupes, au sud, se dresse Bēta Giyorgis, la plus célèbre de toutes parce que sa forme en croix grecque fascine tous les visiteurs. On aborde le monument par son sommet, mesurant ainsi la prouesse architecturale et technique que représente cette église particulièrement bien conservée.
Les églises rupestres ont été excavées dans une couche de basalte scoriacé correspondant à d’anciennes scories basaltiques accumulées sur les flancs occidentaux d’un volcan actif au cours du Miocène. Elles sont soudées et partiellement altérées par l’oxydation du fer qu’elles contiennent, oxydation qui donne une couleur rouge aux églises. Des bombes volcaniques sont également observées dans ce matériau, allant du kilogramme à plusieurs tonnes. Relativement compacte, cette roche se prête bien à la taille. Sa composition est assez homogène même si quelques coulées de basaltes interstratifiées dans les scories sont observables, soudant quelquefois des paléosols très rubéfiés. Ce sont les parties les plus tendres de la roche qui ont été exploitées lors des premières phases d’occupation, en creusant initialement des galeries de taille et d’orientation différentes en fonction de ces discontinuités lithologiques. Durant les phases postérieures ont été exploités les niveaux de basalte scoriacé sans faire de distinctions. Il est arrivé que les tailleurs soient confrontés à des couches de basalte, plus résistantes à la taille. Des exemples sont visibles à la base des tranchées ou des cours à l’air libre, comme à Bēta Giyorgis (Saint-Georges). Dans le groupe 1, des tranchées sont parvenues au basalte seulement quelques mètres sous la surface. Leur orientation et leur taille suggèrent qu’il s’agit de tranchées préalables au creusement d’une église, mais la présence de basalte semble avoir stoppé leur réalisation. Les tailleurs des églises ont clairement manifesté une connaissance empirique des propriétés du socle rocheux. De semblables niveaux de basalte scoriacé ont été exploités dans les environs de Lalibela, comme à l’église de Bilbālā Qirqos. Une autre roche, l’ignimbrite, a également fait l’objet d’excavation, par exemple pour le creusement de l’église d’Ašatan Māryām.
Les observations géomorphologiques permettent également d’expliquer comment le paysage a été utilisé par les habitants de Lalibela. Le secteur est marqué par une importante incision du réseau hydrographique. Au niveau de Lalibela, un petit ruisseau irrégulier – appelé aujourd’hui le Jourdain comme en Terre sainte – coule au fond d’un talweg encaissé de plusieurs mètres. Ce ruisseau sépare les deux groupes d’églises ; son cours a d’ailleurs été tellement recalibré que son origine naturelle a pu être remise en cause. Mais la topographie de la zone et l’organisation générale du réseau hydrographique ont permis d’affirmer l’existence préalable de ce talweg. De même, la morphologie des interfluves et des versants a directement eu un impact sur la forme des églises. Assurément, au groupe 1, les monuments sont alignés avec des toits à double pente. Le relief est propice à leur implantation puisque la crête est orientée est-ouest, la ligne d’interfluve correspondant plus ou moins au faîtage des églises. A titre d’exemple, la forme du toit de Bēta Madḫanē’Alam, à deux pans, suit la forme initiale du relief. De même, Bēta Giyorgis a un toit plan quelque peu incliné, suivant le versant de la pente.
(Marie-Laure Derat, juillet 2022)