Le site du Chellah, dont l’accès est à l’époque interdit aux non-musulmans, est brièvement décrit au début du XVIIIe siècle par le Père rédempteur Dominique Busnot, alors au Maroc dans le cadre un voyage consacré au rachat de chrétiens capturés par des pirates musulmans de Salé. Le Père Busnot évoque l’origine romaine du site et signale que des monnaies découvertes suite aux épisodes pluvieux sont vendues par les Maures aux Chrétiens. Il fait également mention de la découverte, à la fin du XVIIe siècle, de grandes statues de marbre envoyées à Meknès pour orner le palais royal (Busnot, 1724 ; Boube, 1966). Le site est mentionné à la fin du XVIIIe siècle par les consuls européens Georg Höst et Louis Chénier qui ne peuvent y rentrer, contrairement à un capitaine anglais qui parvient à y pénétrer en se faisant passer pour un musulman, tout comme le voyageur espagnol Domingo Badia y Leblich, plus connu sous le nom d’Ali-Bey, au début du XIXe siècle, qui en livra une description succincte et romantique (Chénier, 1787 ; Jackson, 1809 ; Badia y Leblich, 1814). D’autres personnalités du XIXe siècle comme le baron von Augustin, Heinrich Barth ou Vivien de Saint-Martin ont identifié le site avec la Sala romaine (Boube, 1999). En 1876, Charles-Joseph Tissot, alors ministre plénipotentiaire au Maroc, a parcouru le site et repéré des constructions et du mobilier d’époque romaine (Tissot, 1876, 1877). En 1901, le sociologue orientaliste Edmond Doutté a dressé un plan très complet qui rend compte de la répartition des vestiges et de l’environnement à l’intérieur de l’enceinte et aux abords du site, principalement occupés par des jardins cultivés et des terrains en jachère. Bien que l’accès à l’intérieur du complexe funéraire mérinide soit à cette époque interdit aux non-musulmans, il parvint à y pénétrer après avoir soudoyé le gardien des lieux (Doutté, 1914). En 1917 et 1918, grâce à une découverte fortuite, Henri Basset et ses collaborateurs ont pu fouiller une partie de la nécropole occidentale. Malheureusement, sans notes, plans ou photographies, ces premiers travaux restent très peu documentés. L’étendue de cette nécropole ainsi que la localisation des autres ensembles funéraires ont pu être déterminés à la suite de nouvelles découvertes fortuites liées à divers travaux de terrassements et d’aménagements dans la zone autour du Chellah jusque dans les années 1960. En 1922, Henri Basset et Evariste Lévi-Provençal publient une monographie capitale sur l’histoire médiévale de la nécropole, restituant plusieurs épitaphes, et fournissant surtout des descriptions architecturales et artistiques des principaux monuments. L’ouvrage comprend également une partie dédiée aux légendes et cultes autour du site. Pourtant, les premières véritables fouilles archéologiques sur le site du Chellah n’ont été conduites qu’à la fin des années 1920 et au début de la décennie suivante sous la responsabilité de Jules Borély, alors directeur du service des Beaux-Arts du Protectorat, et de la princesse égyptienne Khadija Riaz-Bey. A côté de travaux de restauration et de nettoyage de l’enceinte et du sanctuaire mérinide, ils ont partiellement dégagé les vestiges antiques tels que la base d’un arc de triomphe à trois baies, le Capitole, la Curia Ulpia en hommage à l’empereur Trajan, un tronçon du decumanus maximus, ainsi que le hammam médiéval dans lequel un petit musée de site a été installé quelques temps (Chatelain, 1944 ; Terrasse, 1940 ; Boube, 1966 ; Pietrobelli, 2001). Il ne reste malheureusement aucun rapport de fouilles ou autre documentation précise sur ces premiers travaux réalisés par, non pas des archéologues, mais deux amoureux du site. On doit la première tentative de résumé de l’histoire du site à Edmond Pauty, dessinateur et ancien chef du Service des Beaux-Arts au Maroc (Pauty, 1944). Les grandes investigations archéologiques, qui ont permis le dégagement et la fouille fine des monuments de la ville, ont été menées par Jean Boube de 1958 jusque dans les années 1980. Ce dernier évoque par ailleurs un site complexe à fouiller car présentant une stratigraphie perturbée, du fait de l’organisation de la ville en terrasses superposées ainsi que du creusement de nombreux silos et du pillage de matériaux à l’époque médiévale (Boube, 1966 ; Boube 1999). En parallèle, des fouilles localisées dans la khalwa mérinide, publiées en arabe, ont été conduites dans les années 1950-60 par Uthmân Uthmân Ismâîl (Tamás Nagy, 2014). De juillet à décembre 1966, Jean Boube a entrepris de nouvelles fouilles de la nécropole occidentale dans la partie la plus proche de la ville romaine. Parfaitement documentées, ces fouilles ont permis d’affiner la typologie et la chronologie des pratiques funéraires (Thouvenot, 1949 ; Thouvenot et Delpy, 1950 ; Boube, 1972, 1999).
(Thomas Soubira, Bénédicte Lhoyer, février 2021)