Dans la région de Bassar (Nord du Togo), la production du fer a commencé dès le Ve siècle avant notre ère. Après un hiatus de plusieurs siècles qui reste encore difficilement explicable, cette activité reprend à partir du XIIIe siècle. Les ateliers sont alors établis le long de deux chaînes discontinues de montagnes riches en filons de fer. À la fin du XVe siècle, le pays bassar assiste à une sectorisation géographique des différentes étapes de la chaîne opératoire de la sidérurgie : les villageois de Dimori se spécialisent dans le charbonnage tandis que c’est autour de Bandjeli, Kabou et Bassar, que le minerai de fer est extrait et transformé en métal brut ; ce dernier est acheminé soit à Bitchabé et aux villages des alentours, soit au sud de Bassar, afin d’être transformé en demi-produits destinés à l’exportation ou en divers objets destinés à être consommés sur place. C’est également à cette période que la production du fer s’accroit et devient réellement excédentaire, tournée vers une exportation extra-régionale. Elle continue son expansion jusqu’au XIXe siècle mais certains rapports inter-sociétaux perturbent les échanges et la production. Cette dernière cesse au début du XXe siècle dans la partie Est (Kabou/Bassar) alors qu’autour de la ville de Bandjeli, il faut attendre les années 1950 pour que le fer local soit définitivement remplacé par les importations européennes (De Barros 1985, 1986 ; De Barros et al. 2020 ; Robion-Brunner et al. 2022).
Les datations radiocarbones acquises sur différents sites archéologiques du canton de Bitchabé montrent que les activités sidérurgiques se mettent en place à partir du XIIIe siècle. Toutefois dès la fin du XVe siècle, l’étape de la réduction du minerai de fer y est abandonnée au profit de celle de la forge. Certes, les gisements métallifères à proximité étaient peu abondants mais il semble que la raison de cette spécialisation dans la fabrication de demi-produits et de produits finis ait plutôt coïncidé avec l’accroissement de la production et l’arrivée de nouvelles populations : les traditions orales suggèrent en effet que les forgerons actuellement installés dans le canton de Bitchabé seraient originaires de Mion (Menghou, actuel Ghana) et que leur installation en pays bassar aurait eu lieu au cours de la deuxième moitié du IIe millénaire (Bakrobena 2021). L’état actuel des connaissances ne nous permet pas de dire si ces artisans savaient déjà épurer les masses de fer brut grâce à l’emploi d’une boule d’argile, mais il convient de décrire cette technique originale qui a disparu au cours du XXe siècle. La phase d’épuration de la masse de fer brut est obligatoire. Elle consiste à rassembler le métal en évacuant les impuretés (morceaux de charbons et de scories) et les vides contenus dans la loupe. Le produit de cette étape est une préforme à partir de laquelle le forgeron fabriquera des objets finis. Dans la région de Bitchabé, le préformage permettait la réalisation d’un disque. L’épuration nécessitait l’intervention des hommes pour le concassage de la loupe en morceaux grossiers, ainsi que celle des femmes et des enfants qui pilaient les morceaux périphériques à la loupe, moins riches en fer, en vue de l’obtention d’une poudre. Les hommes fragmentaient la loupe dans leur atelier de forge tandis que les femmes et les enfants utilisaient des bancs de grès naturels (non déplacés) comme mortiers et des marteaux de pierre ronds comme percuteurs afin d’écraser les parties périphériques de la loupe. Ce travail a laissé des traces caractéristiques telles que des cupules plus ou moins larges (de 10 à 40 cm de diamètre) et profondes (de 10 à 40 cm) encore visibles, notamment sur le site des likumanjoole au village de Bitchabé (De Barros et Lucidi 2016). Lorsque les morceaux et la poudre de loupe ont été obtenus, les forgerons passaient à la réalisation des boules d’argile. Sur de la paille, de l’argile était appliquée en un disque plat. En son centre, un morceau de loupe d’environ 10 cm de diamètre était déposé, puis tout autour de ce dernier de plus petits morceaux et enfin le tout était recouvert de poudre de fer. Les forgerons refermaient l’enveloppe d’argile et de paille de façon à former une boule ronde dont l’apparence évoquait celle d’une noix de coco. Après l’avoir mise à sécher au soleil, elle était placée dans le foyer de forge. Après de longues minutes de chauffe à des températures avoisinant 1100°C, le forgeron brisait doucement la coque en argile de la boule sur son enclume grâce à un marteau muni d’un plan de frappe concave.
(Caroline Robion-Brunner et Lebarama Bakrobena, juin 2023)